Qui a dit que la religion chrétienne méprisait le désir ? Il se trouve en réalité que la foi et le désir, loin d’être incompatibles, se portent l’un l’autre. A l’heure où de moins en moins de couples font l’amour, et où les grands désirs du cœur de l’homme sont étouffés par le matérialisme et le consumérisme à outrance, nous avons un besoin urgent de réveiller notre désir et de le remettre à sa juste place.
L’intense désir de Dieu pour nous
Le puritanisme, le jansénisme et autres hérésies en « -isme » ont décidément bien marqué les esprits, puisque nous avons souvent beaucoup de mal à voir le désir comme quelque chose de bon, quelque chose de voulu par Dieu. Nous avons même beaucoup de difficulté à concevoir Dieu comme un Dieu de désir. Aurions-nous oublié certains passages de la Parole de Dieu ?
« J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous »
Jésus à Ses disciples (Lc 22, 15)
Jésus désire passer du temps avec nous, et non seulement Il le désire, mais Il le désire « d’un grand désir » ! Ce même désir habite saint Paul, qui répète à deux reprises dans sa lettre aux Romains :
« J’ai en effet un très vif désir de vous voir, pour vous communiquer l’un ou l’autre don de l’Esprit »
Rm 1, 11
« J’ai depuis des années le désir d’aller chez vous »
Rm 15, 23
Saint Paul, toujours lui, parle également à deux reprises de son « ardent désir », dans sa 2e lettre aux Corinthiens (2Co 5, 2 et 2Co 8, 19). Et on en parle, de cette déclaration si touchante faite aux Thessaloniciens ?
« Nous avons tout fait pour revoir votre visage, tellement nous en avions le désir »
1Th 2, 17
Mais revenons à Dieu…
Le désir de Dieu pour nous nécessiterait un article à part entière, mais pour moi il se résume parfaitement par les livres d’Osée et du Cantique des Cantiques. Dans le chapitre 2 du livre d’Osée, le Seigneur parle de Son peuple comme d’une épouse infidèle qu’Il veut jalousement toute à Lui, et l’on ressent tout l’amour de Dieu, Sa juste colère d’être trompé, Son désir d’être aimé en retour :
« C’est pourquoi, Mon épouse infidèle, Je vais la séduire, Je vais l’entraîner jusqu’au désert, et Je lui parlerai cœur à cœur. (…) En ce jour-là – oracle du Seigneur –, voici ce qui arrivera : Tu M’appelleras : « Mon époux » et non plus : « Mon Baal » (c’est-à-dire « mon maître »). (…) Je ferai de toi Mon épouse pour toujours, Je ferai de toi Mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse ; Je ferai de toi Mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur. »
(Os 2, 16-22)
Quant au Cantique des Cantiques, il est tout entier un hymne à l’amour et au désir de Dieu pour nous. Dans le chapitre 3, le bien-aimé est appelé à plusieurs reprises « Celui que mon âme désire ». Plus loin, au chapitre 5, la bien-aimée affirme que « tout, en lui, est désirable », avant de déclarer, au chapitre 7 : « Je suis à mon bien-aimé : vers moi, monte son désir. » Tous ceux qui affirment que le désir est un péché devraient (re)lire le Cantique des Cantiques !
Il y aurait encore énormément à dire sur le sujet du désir dans la Parole de Dieu (je pense par exemple à Sophonie 2, 1-2 : « Serrez-vous, entassez-vous, nation sans désir, avant que vous soyez chassés comme la paille qui disparaît en un jour »), mais pour moi, le verset clef se trouve dans le livre de l’Apocalypse :
« Je connais tes actions, je sais que tu n’es ni froid ni brûlant – mieux vaudrait que tu sois ou froid ou brûlant. Aussi, puisque tu es tiède – ni brûlant ni froid – je vais te vomir de ma bouche. »
Ap 3, 15-16
Dieu vomit les tièdes
Le désir brûlant qui habite le cœur des saints, voilà ce qui les pousse à se lever le matin et à affronter les épreuves de la vie. Je ne parle pas du désir sexuel (même s’il y aurait beaucoup à dire sur le mariage mystique entre l’homme et Dieu – la 7e demeure du Château Intérieur de sainte Thérèse d’Avila), mais des désirs profonds de nos âmes, à commencer par le désir de Dieu. Dieu vomit les tièdes, car Il ne peut rien faire d’eux. Leur âme est comme ramollie, leur volonté affaiblie, leur conscience anesthésiée.
« Dieu ne craint pas de se brûler le palais avec des âmes en feu. Seule la tiédeur le révulse (…). La fureur destructrice de Saul de Tarse est la matière que Dieu est capable de transformer en feu missionnaire. Mais Il est démuni face à la pusillanimité. Il ne peut pas davantage transformer les cœurs tièdes en saints que les pierres en pain. L’enfer n’est donc pas dans le feu, contrairement à la vision entretenue par les romantiques. Il est un lieu où peur et jalousie éteignent toute vie. »
Abbé Philippe de Maistre, La voie des hommes
Des âmes en feu, voilà ce dont Dieu a besoin. Des âmes qui brûlent de désir, d’un désir ardent, sont capables de déplacer des montagnes. Si ce désir n’est pas orienté vers le bien, il peut alors s’avérer destructeur. On le voit avec les obsédés sexuels, les assoiffés de pouvoir, ceux qui ne pensent qu’à l’argent : la force de leur désir, mal orientée, les transforme en monstres d’égoïsme, dominateurs implacables prêts à tout pour assouvir leur envie mauvaise.
Mais faut-il pour autant incriminer le désir ? Tout comme la colère (voir l’article Apprendre à gérer sa colère, l’enjeu d’une vie), le désir en lui-même n’est pas mauvais. C’est ce qu’on en fait qui est un péché, ou au contraire une bonne action. Tout l’enjeu devient donc de savoir bien orienter ses désirs.
Le désir, une force donnée par Dieu
Le Catéchisme de l’Église Catholique nous parle du désir de Dieu comme inhérent à la nature humaine :
« Le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, car l’homme est créé par Dieu et pour Dieu ; Dieu ne cesse d’attirer l’homme vers Lui, et ce n’est qu’en Dieu que l’homme trouvera la vérité et le bonheur qu’il ne cesse de chercher »
Catéchisme de l’Église Catholique, n°27
Osons aller plus loin et affirmer que nos désirs nous ramènent tous à notre désir de Dieu. Ils expriment un manque, une béance qui aspire à être comblée, une soif que seul Dieu peut étancher. Nos désirs sont une force vitale qui nous pousse à chercher Dieu, à sortir de nous-mêmes, à nous mettre en marche. A l’inverse, l’homme qui n’a plus de désirs n’aspire plus qu’à rester au fond de son canapé et à s’anesthésier par toutes sortes de distractions pour oublier ce manque existentiel qui l’habite et qui le fait souffrir.
N’allons cependant pas croire que tous nos désirs doivent être exaucés ! Nos désirs disent quelque chose de notre manque de Dieu, et c’est en Dieu, et uniquement en Lui, que ce manque pourra être comblé. Si je désire m’enfiler le pot de Nutella à la petite cuillère, cela ne veut pas dire que je dois le faire ! Et si je désire ardemment m’enfuir avec le beau maître-nageur du club de vacances, qui me semble alors infiniment plus désirable que mon mari grincheux, cela ne signifie certainement pas que telle est la volonté de Dieu pour moi.
Désirs ordonnés et désirs désordonnés
Nous avons constamment un discernement à opérer en ce qui concerne nos désirs. Car le diable peut très bien s’en mêler et nous faire prendre des tentations pour des désirs impérieux, comme lorsque nous nous trouvons face au sac dernier cri que tout le monde s’arrache et qu’il nous semble alors que craquer le PEL pour nous l’acheter résolverait d’un coup d’un seul tous nos problèmes personnels et familiaux.
Dans la lettre aux Galates, au chapitre 5, saint Paul affirme que « les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair ». Apprenons donc à distinguer les désirs qui ne sont que tendances de la chair (et ne viennent pas de Dieu), des désirs qui sont tendances de l’Esprit-Saint, et nous poussent à accomplir Sa volonté. Dieu est un Dieu d’ordre, c’est pourquoi nous pouvons parler, à la suite de saint Augustin, de désirs ordonnés, qui sont de Dieu et orientés vers Dieu, par opposition aux désirs désordonnés qui sont de l’ordre du péché et de la concupiscence.
Si mon désir est une vraie et belle force, c’est à moi qu’il revient d’orienter cette force vers le bien, comme c’est le cas pour toutes nos émotions. Cet apprentissage peut s’effectuer dès notre enfance, et il est vital si nous ne voulons pas être gouvernés par nos ressentis du moment. C’est tout le sujet du livre de Marie-Odile Peaucelle, Dès la maternelle, comment vivre ma vie ?, où l’auteur, institutrice en maternelle, enseigne à ses élèves comment devenir « le roi de moi-même ». Non pas un enfant-roi, gouverné par ses caprices et ses désirs désordonnés, mais un enfant roi de lui-même, qui dirige ses émotions et ses désirs afin de les orienter vers le beau et le bon.
Je connais ainsi des femmes tentées par l’adultère qui ont, avec la grâce de l’Esprit-Saint, réorienté les désirs de leur cœur vers leur mari, souvent au prix d’innombrables sacrifices, de larmes et de renoncements, et ce, même si leur mari leur semblait insipide au regard du sympathique collègue qui leur tournait autour. Je connais aussi des personnes redoutées pour leurs colères explosives, qui ont appris à diriger la force de leur colère vers le bien, et qui sont devenues des modèles de douceur et de patience. Et je ne parle pas de toutes ces personnes qui ont renoncé à une carrière alléchante, à des opportunités professionnelles ou sociales, pour le bien de leur couple et de leur famille.
Le désir, c’est la vie
Rien de tout cela n’est possible si tu cherches à éteindre ton désir. Ce qui compte, c’est de savoir réorienter notre désir vers le bien, comme une voiture que nous conduirions et à qui nous ferions changer de direction pour aller sur le bon chemin. La tentation peut être parfois, face à la puissance de nos désirs, d’éteindre le moteur et d’arrêter la voiture. Mais en faisant cela, nous n’avançons plus, nous n’allons plus nulle part, nous éteignons la vie en nous.
Sainte Thérèse d’Avila est connue pour les grands désirs de son cœur, son âme de feu qui ne se contentait pas de demies-mesures. Elle affirmait :
« Ne rétrécissons pas nos désirs, c’est d’une haute importance. Croyons fermement qu’avec le secours divin et des efforts nous pourrons arriver peu à peu – ce ne sera pas en un instant – là où sont parvenus tant de saints aidés par la grâce. (…) Pendant quelque temps, j’ai eu sans cesse présente à l’esprit cette parole de saint Paul : “Je peux tout en Celui qui me rend fort”. »
Sainte Thérèse d’Avila
Rappelons-nous que Dieu vomit les tièdes. En cherchant à étouffer nos désirs, nous courons le risque de la tiédeur, de la médiocrité. C’est le risque d’une certaine éducation sexuelle parfois enseignée dans les familles chrétiennes qui, par peur du péché et des déviances, accuse le désir d’être intrinsèquement mauvais et vise donc à l’éteindre au maximum. Mais tuer le désir, c’est tuer la vie en nous !
La vie spirituelle, ce n’est pas « ne plus rien désirer », non, c’est désirer ce que Dieu désire, c’est vouloir ce qu’Il veut, c’est unir sa volonté à la Sienne. Et Dieu est un Dieu de désir ! Quand on voit les âmes ardentes des saints, on comprend mieux que pour se sanctifier, il ne faut pas éteindre le désir en nous, mais faire du désir de Dieu le nôtre, calquer notre désir sur le désir de Dieu. Comme le disait Don Bosco, « un saint triste est un triste saint », et un saint sans désirs rend peu désirable la sainteté. Quand nous cherchons à étouffer nos désirs, nous tombons bien souvent dans la dépression et nous n’avons plus goût à rien. Ce n’est pas surprenant si les dépressions mal soignées peuvent conduire au suicide. Car sans désir, nous n’avons plus de vie en nous.
Dieu creuse notre désir
Mgr Jean-Pierre Batut, en parlant du désir, affirme :
« Non seulement la prière purifie et unifie nos désirs, mais la vraie prière creuse en nous un désir toujours plus grand. Voici encore saint Augustin : Dieu, en faisant attendre, élargit le désir ; en faisant désirer, il élargit l’âme ; en l’élargissant, il augmente sa capacité de recevoir. »
Mgr Jean-Pierre Batut
C’est le paradoxe de la vie en Dieu : Dieu, par Son amour, comble tous les désirs de notre cœur (et Il est le seul à pouvoir le faire), mais en ce faisant, Il creuse en nous un désir encore plus grand. C’est comme s’Il voulait que nous ne soyons jamais rassasiés, afin que nous ayons toujours envie de Le chercher et de L’aimer. N’ayons donc pas peur de cette béance, de ce vide qui nous habite et que rien ici-bas ne saurait apaiser, car Dieu s’en sert pour notre plus grand bien.
Ce vide intérieur est finalement une grande blessure, que nous pouvons offrir à Dieu comme cadeau d’amour, et qui alors, porte beaucoup de fruits. En offrant cette blessure, cette souffrance intime, chaque jour, dans le secret de notre prière, nous sommes configurés au Christ, rendus semblables à Lui, Lui qui s’est offert en sacrifice parfait pour nous sauver. C’est là un grand mystère sur lequel nous n’aurons jamais fini de méditer. Au lieu de cela, nous sommes bien souvent tentés de nous plaindre et d’accuser notre conjoint, nos amis ou nos enfants de ne pas savoir répondre aux désirs de notre cœur, et nous cherchons des compensations partout où nous le pouvons, refusant d’admettre que seul Dieu peut combler ce désir immense qui nous habite, et que Lui seul peut lui donner un sens.
Alors, je t’en supplie, ne tue pas ton désir
Ton désir n’est pas un ennemi, une occasion de chute ou quelque chose d’encombrant à manœuvrer ! Ton désir est sacré car il te pousse à chercher Dieu, à trouver des réponses, à sortir de toi-même et de ton égoïsme. Orienté vers le bien, ton désir te donne la force d’accomplir de grandes choses, d’unir ta volonté à celle de Dieu et d’oser l’aventure de la sainteté. Comme Jésus, puisses-tu regarder ta vie en affirmant, au moment d’entrer au Ciel : « J’ai désiré d’un grand désir ! ».
Il est significatif que si peu de couples fassent l’amour aujourd’hui (voir l’article Vous êtes mariés ? Faites (beaucoup) l’amour), car le désir sexuel, s’il n’est pas le seul désir qui habite notre âme, est un désir puissant s’il en est, la force de vie par excellence puisqu’il nous amène à donner la vie. Netflix, le porno et le confort ont tué le désir en nous. Nous sommes devenus tièdes, comme anesthésiés et engourdis, et sortir de nous-mêmes pour nous donner à l’autre est devenu trop difficile, trop exigeant, trop fatigant. On veut le sexe sans le don, l’amour sans l’engagement, et même la foi chrétienne sans le sacrifice.
As-tu déjà remarqué qu’après une heure passée à scroller sur internet, ou à être avachi sur le canapé, ou à manger de la malbouffe (voire les trois à la fois), tu n’as plus envie de rien faire, tu n’as plus le goût de rien, ta volonté est comme ramollie et cela se ressent même physiquement ? Notre société obsédée par le confort et l’individualisme fabrique des êtres sans désir, sans force, sans vie.
Alors puisse l’Esprit-Saint réveiller notre désir et faire de nous des âmes de feu 🔥 (et non des extincteurs 🧯) !
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