Aujourd’hui, nous allons aborder un sujet délicat s’il en est : la relation que nous avons à nos enfants. Sont-ils plus importants que Dieu pour nous ? Sommes-nous dans une relation fusionnelle ou détachée vis-à-vis d’eux ? Comment devenir des parents selon le cœur de Dieu ?
Si ce n’est déjà fait, je vous invite à commencer par lire le premier article de notre série sur les idoles. Cette série doit beaucoup au travail d’Anne Merlo et je l’en remercie vivement ; je ne peux que vous inviter à écouter ses conférences et à lire ses livres sur le sujet !
Ce qu’en dit la Bible
Je voudrais m’appuyer sur deux épisodes de la Bible pour essayer de comprendre ce que Dieu nous enseigne sur notre relation à nos enfants. Jésus nous met très explicitement en garde contre le fait d’idolâtrer ces derniers :
« Celui qui aime son père ou sa mère plus que Moi n’est pas digne de Moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que Moi n’est pas digne de Moi »
Mt 10, 37
Nous avons déjà parlé de l’idole parentale dans un précédent article, donc je ne reviendrai pas sur la première partie de ce verset. En revanche, penchons-nous maintenant sur la deuxième partie, qui a le mérite d’être claire : « Celui qui aime ses enfants plus que Dieu n’est pas digne de Lui ». Voilà qui devrait, en tant que parents, nous faire longuement réfléchir ! Et je m’inclus fortement dedans, étant moi-même maman 🙂
La définition d’une idole est justement de prendre la place de Dieu, donc la première place, dans nos vies. Qu’il est facile de mettre nos enfants à la première place, d’autant plus que nous sommes prêts à sacrifier tellement pour eux ! En devenant parents, notre vie se met bien souvent à tourner entièrement autour d’eux, et le risque de les idolâtrer, c’est-à-dire de les préférer à Dieu, en est d’autant plus grand.
Remettre à Dieu notre paternité, notre maternité
Il y a un autre passage de la Bible qui est, à mes yeux, très parlant : le sacrifice d’Abraham (Gn 22). Remettons les choses dans leur contexte. Sarah, la femme d’Abraham, est enfin tombée enceinte, conformément à la promesse du Seigneur, alors qu’elle n’avait jamais pu avoir d’enfant. Le fils tant attendu naît, Isaac, cadeau de Dieu, enfant chéri de ses parents âgés qui l’auront espéré toute leur vie.
Pourtant, alors qu’Isaac a grandi, Dieu demande à Abraham de le Lui offrir en sacrifice :
« Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. »
Gn 22, 2
C’est, d’une certaine manière, ce que Dieu demande à tout parent : « Peux-tu Me redonner cet enfant que Je t’avais confié ? ». Abraham courait le risque de préférer les dons au Donateur, d’aimer Isaac plus que Dieu. Par son obéissance à la volonté du Seigneur, il ne tombe pas dans ce piège de l’idolâtrie de son enfant. Et au moment où il s’apprête à sacrifier son fils unique, un ange l’en empêche :
« Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. »
Gn 22, 12
Il est évident que Dieu ne voulait pas qu’Abraham tue son enfant. Mais par cette épreuve, ce « test », Il lui a demandé – et nous demande à tous – de Le préférer à son fils, de ne pas faire d’Isaac un dieu.
Le sacrifice du bélier
En se rendant sur la montagne pour le sacrifice, Isaac avait interrogé son père, surpris de ne pas voir d’agneau à sacrifier, ce à quoi Abraham lui avait répondu : « Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste, mon fils. » (Gn 22, 8). Finalement, l’ange étant intervenu, c’est un bélier, et non un agneau, qui sera sacrifié :
« Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. »
Gn 22, 13
Voilà qui est loin d’être un détail… Le bélier retenu par les cornes est une image assez parlante d’Abraham empêtré dans son amour pour Isaac et son amour pour Dieu. L’idolâtrie de son fils l’avait enchaîné, et par son obéissance à la volonté de Dieu, par son choix de préférer Dieu à son propre enfant, il devient enfin libre.
Finalement, c’est donc un bélier, un mâle, le père de l’agneau, qui sera sacrifié. C’est cette paternité mal ajustée, qui entravait autant Abraham qu’Isaac, que Dieu reçoit en holocauste. Et Abraham, par ce geste symbolique si lourd de sens, remet sa paternité à Dieu et libère Isaac du poids immense qui pesait sur ses épaules : être le dieu de son père.
Aucun enfant ne veut être le dieu de ses parents
Faire de notre enfant notre dieu, lui donner la place que Dieu devrait avoir dans nos vies, c’est effectivement faire peser sur lui un fardeau terrible. Aucun enfant ne devrait avoir à porter ce fardeau des attentes démesurées de ses parents.
Car la réalité, c’est que seul Dieu peut combler tous les désirs de notre cœur. Lui seul peut guérir nos blessures, répondre à notre besoin vital d’être aimé, et nous apporter la paix et le bonheur auxquels nous aspirons. En faisant de nos enfants notre dieu, nous leur demandons d’assumer une tâche qui n’est pas la leur et qu’ils sont incapables de mener à bien. Nous leur confions une mission impossible.
Nous espérons pourtant si souvent, de manière plus ou moins consciente, combler nos carences d’amour grâce à l’amour que nous portent nos enfants. Si nous avons manqué d’amour dans notre enfance, nous serons tentés de rechercher cet amour dans notre rôle de père ou de mère. Ce faisant, nous exigeons de nos enfants qu’ils nous aiment, nous leur montrons par notre attitude que nous avons besoin d’eux pour vivre et nous les transformons en médicament pour nos propres blessures, comme le dénonce Anne Merlo :
« Nous comptons énormément sur la capacité qu’ont nos enfants à nous aimer d’une manière pure, pour être comblés de notre vide de Dieu. Cette exigence extrêmement « dévorante » nous semble pourtant tout à fait légitime. Cette fausse croyance que nos enfants existent pour nous aimer doit être combattue avec force. »
Anne Merlo, Maman, lâche-moi !
Quand être mère/père devient notre identité
Tant que nous n’avons pas profondément compris que notre identité se trouve en Dieu, que nous sommes des fils et des filles bien-aimés du Père et que c’est tout ce qui compte, nous chercherons désespérément notre identité ailleurs. Force est de constater que beaucoup de parents ont ainsi fait de leur rôle de père ou de mère leur identité, entraînant toute leur famille dans la confusion et l’idolâtrie.
Quand notre identité, c’est d’être un papa, d’être une maman, tout se met alors à tourner autour de notre besoin de nous prouver à nous-mêmes et de prouver au monde que nous sommes un bon père ou une bonne mère. Le moindre sentiment d’échec en ce domaine nous donne l’impression que nous n’avons pas de valeur, que nous sommes nuls, puisque nous avons fait de ce rôle parental notre définition profonde.
Le résultat, c’est que nous demandons tacitement à nos enfants de manifester, par leur comportement, que nous sommes de bons parents. Nous rentrons dans cette spirale infernale où le moindre comportement négatif de nos enfants devient le signe que nous sommes de mauvais parents, et cela nous est insupportable. Alors nous exigeons d’eux qu’ils agissent toujours conformément à nos attentes – démesurées – envers eux, surtout en public, sous peine de nous mettre en colère, de nous décevoir, et même de n’être plus aimés.
Nous sommes bien loin de l’amour inconditionnel que Dieu a pour chacun de Ses enfants ! D’ailleurs, force est de constater que Dieu n’exige jamais rien de nous. Nos mauvaises actions n’entachent pas Sa perfection ni n’éloignent de nous Son amour (mais l’image que nous avons de Lui est bien souvent faussée par l’image que nous avons de nos parents et la manière dont ils nous ont éduqués).
Les parents indispensables
Autre facette de l’idolâtrie que nous entretenons vis-à-vis de nos enfants : le besoin de leur être indispensable. Non seulement nous exigeons d’eux qu’ils nous aiment et agissent toujours comme nous le voudrions, mais nous ressentons le besoin d’être tout pour eux. J’ai par exemple vu des mamans dire, avec des étoiles dans les yeux, à propos de leur bébé : « Il ne peut pas dormir sans moi, il a tellement besoin de moi ! ».
Le fait que notre enfant ait besoin de nous nous rassure, nous donne l’impression qu’il restera toujours auprès de nous et nous confère un certain pouvoir, mais c’est une illusion, que nous entretenons à tout prix :
« [Les parents dominateurs] ont besoin qu’on ait besoin d’eux et se croient indispensables au bonheur de leur progéniture. Une mère qui dit à son enfant, croyant lui faire ainsi une déclaration d’amour : « Tu es toute ma vie ! » est en train de lui démontrer l’inverse. »
Anne Merlo, Maman, lâche-moi !
Ce besoin d’être indispensable nous pousse à infantiliser nos enfants et à voir leurs tentatives d’autonomie comme des menaces, voire des trahisons. Nous vivons alors dans la peur de les voir devenir indépendants, qu’ils nous abandonnent et n’aient plus besoin de nous. Notre rôle de parents consistait à les aimer et à les aider à grandir, mais nous cherchons au contraire à les garder pour nous et à les maintenir dans un état de dépendance. Ce faisant, nous ne les aimons plus, mais nous les possédons. Nous ne les aidons plus, nous les contrôlons.
Retrouver une relation ajustée
« La vie en Dieu, c’est la tranquillité de l’ordre »
Saint Augustin
Dieu se plaît dans l’ordre et la vérité, pas dans la confusion ni le mensonge. Nous-mêmes pouvons expérimenter combien remettre les choses à leur juste place est libérateur. Nous avons terriblement besoin, et nos enfants avec nous, que nos relations familiales soient ajustées dans la vérité.
Le premier ajustement à faire consiste à prendre conscience que notre identité se trouve en Dieu et non ailleurs. Sortons de cette idolâtrie qui nous entrave, comme Abraham, redonnons notre rôle de père ou de mère au Seigneur et demandons-Lui de nous révéler notre véritable identité. Allons puiser dans la prière et notre relation à Dieu tout l’amour dont nous avons besoin pour étancher notre soif, afin de ne plus chercher à « aspirer » cet amour chez les autres, et en particulier chez nos enfants.
Puis remettons Dieu à la première place dans nos vies, suivi de notre conjoint, et ensuite de nos enfants. Cet ordre est fondamental : Dieu, puis notre conjoint, puis nos enfants. Nous sommes liés à Dieu par toutes les fibres de notre être, c’est Lui qui nous a créé, nous ne pouvons vivre sans Lui ! Quant à notre conjoint, nous lui sommes liés par un sacrement, nous ne sommes avec lui qu’une personne devant le Seigneur. Nos enfants, eux, nous sont confiés par Dieu pour un temps, et ne sont appelés à vivre avec nous et sous notre autorité que quelques années, 18 ans à peine.
Si cet ordre fondamental n’est pas respecté, et que nos enfants ont pris la première place dans nos vies, le jour où ils partiront, nous aurons l’impression que toute notre existence s’écroule, nous serons profondément malheureux et nous n’arriverons pas à nous détacher d’eux, causant de profonds dégâts de part et d’autre. Pourtant, un bon parent n’est pas le parent parfait que nous cherchons à être (et qui, par son obsession de la perfection, devient rapidement toxique), mais un parent ajusté, qui aide son enfant à grandir et le prépare à se séparer au moment voulu (voir l’article Quitter son père et sa mère, qu’est-ce que ça veut dire ?).
Se détacher de nos enfants pour les aimer inconditionnellement
J’aime penser que le détachement vis-à-vis de nos enfants démarre dès leur conception, et même avant. C’est un état d’esprit qui consiste à prendre conscience que nos enfants ne sont pas des dus, mais des cadeaux du Seigneur, et qu’ils ne nous appartiennent donc pas, comme le dirait Khalil Gibran :
« Vos enfants ne sont pas vos enfants. (…) Ils viennent par vous mais non de vous, et bien qu’ils soient avec vous, ce n’est pas à vous qu’ils appartiennent. (…) Vous êtes les arcs qui projettent vos enfants telles des flèches vivantes. »
Khalil Gibran, Le Prophète
Oui, à nous d’être les arcs qui propulsent nos enfants vers Dieu et leur bonheur, et non des élastiques qui cherchent à ramener leur progéniture à eux ! Se détacher, ce n’est pas devenir froid, distant, indifférent, mais c’est rester à notre place, accepter que nos enfants aient leur propre existence et qu’elle ne tourne pas tout autour de nous. C’est entrer dans l’amour inconditionnel, le plus grand défi de tout parent, cet amour sans exigences, qui ne demande rien en retour, qui est profondément libérateur et auquel tout enfant aspire.
Nous ne serons jamais des parents parfaits, et ça nous sera parfaitement égal, puisque qu’être père ou mère n’est pas notre définition. Nous découvrirons qu’être parent est à la fois la plus belle mission du monde et la plus commune, et que nos enfants ne sont pas des voleurs de vie ou des médicaments pour nos carences d’amour, mais des bénédictions envoyées par le Seigneur pour nous sanctifier et nous apprendre l’amour inconditionnel. Nous montrerons à nos enfants que nous sommes capables d’être heureux sans eux, et que par conséquent ils peuvent eux aussi être heureux sans nous.
Nous apprendrons ensemble, nous ferons des erreurs, mais nous nous demanderons pardon et nous avancerons ensemble. Quand nos enfants partiront, nous les contemplerons émerveillés devenir parents à leur tour, et nous serons fiers d’avoir été capables de les aimer au point de les laisser partir. Nous serons fiers de voir qu’ils sont à présent indépendants et capables d’aimer à leur tour, sans chercher à posséder. Et nous serons heureux car, libérés de nos idoles, nous aurons découvert le secret du vrai bonheur : mettre Dieu en premier dans nos vies.
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