A propos de nos idoles – Partie 4 : L’idole parentale

La première idole que nous rencontrons dans notre existence est l’idole parentale. Et cette idolâtrie est particulièrement destructrice quand elle dure…

Si ce n’est déjà fait, je vous invite à commencer par lire le premier article de notre série sur les idoles. Cette série doit beaucoup au travail d’Anne Merlo et je l’en remercie vivement ; je ne peux que vous inviter à écouter ses conférences et à lire ses livres sur le sujet !

Petite histoire de la fusion

Chaque enfant, dès sa conception, vit en état de fusion avec sa mère. Pour lui, elle est tout. Elle est le centre de son existence, une partie de lui, une personne parfaite et merveilleuse. Cette idéalisation de la mère, que nous expérimentons tous, est normale et saine. Mais elle n’est pas appelée à durer.

La psychologue Bernadette Lemoine explique dans son livre Maman, ne me quitte pas ! qu’à partir de l’âge de trois ans environ, le père doit aider l’enfant et sa mère à « défusionner » progressivement :

« La maman a un rôle prépondérant au début de la vie du bébé, et le père doit prendre sa place pour faire évoluer la relation mère-enfant qui est fusionnelle. A trois-quatre ans, le « règne » de la mère devrait être terminé. L’enfant devra passer progressivement de la mère au père, celui-ci devenant le principal éducateur à partir de l’âge de sept ans environ. »
Bernadette Lemoine, Maman, ne me quitte pas !

Quand cette « défusion » n’a pas lieu, les conséquences sur l’enfant peuvent être dramatiques. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette étape. Malheureusement, beaucoup de pères n’ont pas conscience que leur rôle est essentiel, et qu’il consiste avant tout à détacher l’enfant de sa mère. Et la fusion perdure, parfois pendant des dizaines d’années, et même après le décès de la maman…

Les conséquences d’une fusion qui dure

Voici comment Simone Pacot, dans son livre L’évangélisation des profondeurs, parle de la fusion :

« Ce qui est anormal et source de perturbation, c’est la fusion qui dure trop longtemps, qui est trop crue, trop dure, trop forte. L’enfant va alors se trouver en prison : ce qui était bon devient mauvais. La mère et l’enfant demeurent mélangés dans leurs identités réciproques. L’enfant ne peut grandir librement dans sa propre direction, son désir. Il va alors se trouver sous l’emprise de la mère. »
Simone Pacot, L’évangélisation des profondeurs

Dans ces conditions, l’enfant est poussé à idolâtrer sa mère et à faire d’elle son dieu. La volonté de sa mère pour lui devient le Bien. Lui déplaire devient le Mal. L’enfant est d’ailleurs souvent amené à faire taire sa conscience, si celle-ci entre en contradiction avec ce que désire sa mère. Cette dernière peut être très aimante, mais en demeurant dans cet état de fusion et en l’entretenant, elle ne se rend pas compte qu’elle étouffe davantage son enfant qu’elle ne l’aime.

« Le mélange est beaucoup plus source d’angoisse que la séparation. (…) Le moindre acte de liberté apparaît comme une transgression, un danger pour l’autre, la fusion étant très souvent accompagnée d’un chantage affectif devant lequel il est difficile de se situer. Par fausse compassion, pour éviter l’affrontement, il est alors possible de se retrouver complètement aliéné. Le désir de liberté est très fort en chacun. Nous risquons d’être déchirés par un conflit intérieur permanent et une haine, une révolte va se développer contre celui ou celle qui nous vole notre liberté, nos désirs les plus essentiels. Cette haine risque d’être déplacée sur d’autres ou de se retourner contre nous et de nous détruire. »
Simone Pacot, L’évangélisation des profondeurs

La vérité nous rend libres

Oui, ces paroles sont dures. Mais cela ne veut pas dire que les mères doivent être diabolisées, les pères pointés du doigt, et les relations familiales vues comme du poison. La famille est voulue et bénie par Dieu, elle fait partie de Son plan d’amour pour l’humanité, et Jésus Lui-même s’est incarné au sein d’une famille humaine.

En revanche, nous sommes tous sous l’emprise du péché originel, qui nous pousse à posséder au lieu d’aimer inconditionnellement, à utiliser au lieu d’être au service, à idolâtrer au lieu de placer tout notre bonheur en Dieu. Et c’est cela qu’il nous faut dénoncer, sans juger les personnes.

L’enjeu est d’être vraiment libres. Libres de devenir pleinement nous-mêmes, libres vis-à-vis des attentes et exigences de nos parents, mais surtout libres d’aimer véritablement Dieu. Car bien souvent, notre image de Dieu est faussée par l’image que nous avons de nos parents. Combien de personnes n’arrivent pas à prier Dieu le Père à cause d’une relation compliquée avec leur propre père !

Faire la vérité dans ce domaine n’est pas facile, mais c’est vital. Car c’est la vérité qui rend libre. Mettons de côté les fausses culpabilités, la peur de déplaire, faisons le deuil du parent « parfait » que nous aurions aimé avoir, et laissons Dieu reprendre la première place dans nos vies.

Honorer ses parents, un commandement

Comme je le disais dans l’article Quitter son père et sa mère, qu’est-ce que ça veut dire ?, l’un des dix commandements bibliques est d’honorer nos parents. Ce n’est pas en contradiction avec les nombreuses injonctions de Dieu à quitter nos parents, car honorer signifie « mettre à la juste place ». Honorer Dieu veut dire « lui donner la première place ». Honorer nos parents, « leur donner la place qui est la leur », pas celle de notre conjoint, ni celle de Dieu.

Quel que soit notre état de vie, nous avons tous à quitter nos parents une fois devenus adultes. Mieux vaut ne pas attendre qu’ils nous laissent partir, car ils ont généralement du mal à le faire… Nous pouvons reconnaître avec amour ce qu’ils nous ont donné de bon, et discerner en vérité ce qui n’a pas été ajusté, ce qui n’est pas de Dieu et que nous devons laisser derrière nous. Car « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps 84, 8).

Vient ensuite la prise de conscience de nos propres erreurs et compromissions :

« Reconnaître l’état de fusion ne suffit pas. Une fois la fausse route repérée vient le temps de se repentir d’avoir entretenu si longtemps un état d’idolâtrie. (…) Cela va consister à faire volte-face, (…) à rompre avec un comportement erroné. C’est un choix, une détermination très ferme : nous arrêtons de transgresser, de désobéir. Ce choix est posé dans le cœur et la volonté profonde. ll est inutile de s’inquiéter des bandelettes qui nous enserrent encore ni du suaire qui voile notre visage (Jn 11, 43-44). »
Simone Pacot, L’évangélisation des profondeurs

Être vraiment libre de l’idole parentale

Quand nos parents nous ont étouffés, ne nous ont pas aimés autant que nous le méritions, nous ont blessés, rejetés, surprotégés, nous pouvons alors ressentir une forte colère et même de la haine. C’est le cas avec toutes les idoles : passée la période où cette idolâtrie nous a fait du bien, nous prenons conscience de notre esclavage et nous nous mettons à la détester. Ce n’est pas pour autant que nous sommes libérés, comme nous le rappelle Anne Merlo dans son livre Maman, lâche-moi ! :

« La colère ne nous libère pas de l’emprise des parents, mais nous lie encore davantage à eux. C’est pourquoi les vœux intérieurs et les promesses que nous nous faisons à nous-mêmes en décidant de ne jamais leur ressembler, nous rendent encore plus esclaves de leur toxicité. »
Anne Merlo, Maman, lâche-moi !

Cette libération de l’emprise de nos parents demande du temps, et seul le Seigneur peut véritablement nous sauver et nous guérir. Il faut en être conscient, car le découragement et le désespoir peuvent vite pointer leur nez… Dans ce cas, la prière de supplication et la Parole de Dieu sont des appuis solides. J’ai personnellement en mémoire une liste de versets de la Bible pour me rappeler des commandements et promesses de Dieu quand je serais tentée de flancher.

Il est également essentiel que nous remettions cet immense fardeau à Dieu : nos fausses culpabilités, nos doutes, nos blessures, nos regrets, notre passé, tout ce que nos parents ont et n’ont pas été. Seul Dieu est le sauveur.

« Si nous continuons à nous laisser influencer par les paroles et les pensées de nos parents, si nous continuons à porter leurs souffrances et leurs péchés, nous ne leur rendons pas service et nous montrons qu’en réalité nous ne les aimons pas. »
Anne Merlo, Maman, lâche-moi !

Nous ne changerons pas nos parents, nous ne nous sauverons pas tout seul. Mais à Dieu, rien n’est impossible.

Devenir parents à notre tour

Il est vital d’être libérés de l’idole parentale quand nous devenons parents. Mais la prise de conscience des erreurs de nos propres parents peut créer en nous une véritable angoisse vis-à-vis de notre mission de père ou de mère. Moi-même, j’ai cru que jamais je n’arriverai à devenir maman tellement la peur était forte. Vais-je reproduire ce qui m’a fait souffrir, alors que mes parents eux-mêmes avaient juré d’agir différemment de leurs parents et n’ont pas forcément réussi ?

Ici encore, nous avons à lâcher prise et à tout remettre à Dieu. Supplions-Le de nous délivrer de ce lourd héritage familial, parfois transmis de génération en génération. Dieu veut passer par nous pour mettre fin à ces malédictions intergénérationnelles. Alors soyons certains qu’Il exaucera nos prières. Il existe d’ailleurs des prières de délivrance pour couper ce genre de liens. Il est également possible de faire dire des messes à cette intention. Mais surtout ne baissons pas les bras, car l’avenir de nos enfants est en jeu.

Oui, devenir parents après avoir connu des parents dysfonctionnels et/ou toxiques est un vrai défi. Toutes mes prières vont à ceux et celles qui vivent cela. Mais avoir des enfants est une bénédiction du Seigneur pour l’enfant blessé que nous sommes. Chaque nouvel enfant peut réactiver la blessure, mais c’est pour que Dieu puisse toujours davantage la visiter et la guérir. J’en ai personnellement fait l’expérience, et c’est bien ce que nous dit la Bible :

« La femme sera sauvée en devenant mère, à condition de rester avec modestie dans la foi, la charité et la recherche de la sainteté. »
1Tm 2, 15

Aider nos enfants à ne pas nous idolâtrer

Le chemin de nos enfants ne nous appartient pas et nous n’avons pas de prise sur lui. En revanche, c’est notre rôle de parents que de permettre à notre enfant d’entrer dans une relation saine avec nous afin qu’il puisse toujours plus grandir et s’épanouir. Cela passe par des actes concrets :

  • Défusionner : le père doit s’engager toujours davantage pour son enfant afin de permettre à la mère de se « désengager » et de quitter la fusion originelle, selon les mots de l’abbé de Maistre.
  • Reconnaître nos erreurs : un parent qui ne se remet jamais en question semblera infaillible aux yeux de l’enfant, mais ce comportement encourage l’idolâtrie et l’idéalisation du parent.
  • Demander pardon : non, ce n’est pas une marque de faiblesse que de demander pardon quand nous avons eu tort ou que nous avons blessé notre enfant… Comment apprendra-t-il sinon à demander pardon à son tour, et comment pourra-t-il guérir ? Cela ne diminue pas notre autorité, mais au contraire la consolide.
  • Encourager notre enfant à devenir lui-même : plutôt que d’essayer de façonner notre enfant selon nos attentes, soyons à l’écoute des désirs et des talents que Dieu a placés en lui. Respectons son jardin privé et sa relation avec Dieu. Acceptons que son vrai père soit Dieu, et que nous ne soyons que les collaborateurs de ce dernier.

Ne détournons pas à notre profit l’adoration qui est due à Dieu seul. Nous ne sommes parents que pour un temps : passées les premières années, nous devons entrer dans une nouvelle relation avec nos enfants, une relation de frères et sœurs dans la foi. Et ce genre de relation est vraiment un avant-goût du Royaume ! Voilà notre but à tous, le fruit de notre libération vis-à-vis des idoles, le désir du cœur de Dieu pour nos relations familiales. Peut-être cela n’aura-t-il lieu qu’au Ciel… mais Dieu est toujours fidèle à Ses promesses.

Amen !

 

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J'ai voulu créer ce blog quand, encore lycéenne, je me suis mise à chercher des infos sur la vision chrétienne du couple et des relations, et que je n'ai rien trouvé d'intéressant sur internet ! Aujourd'hui, quelques années ont passé, je suis mariée depuis 2019 et maman de trois petits bouts - et vous êtes sur le blog que la lycéenne que j'étais rêvait de créer :)

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