La série Downton Abbey présente l’histoire d’une famille aristocratique anglaise du début du XXe siècle et de ses domestiques, et l’on peut dire que tout ce beau monde comporte son lot de relations toxiques ! Une bonne occasion de réfléchir à nos propres relations, et de rappeler certains mythes qui ont la dent dure… Je précise, attention, SPOILERS 🙂
Mary, ou le conflit de loyautés
J’aurais vraiment pu utiliser Sybil ou Edith pour cet exemple puisque c’est visiblement un problème répandu dans la famille Crawley… mais personnellement, je trouve que Mary est celle chez qui ce conflit est le plus présent.
Qu’est-ce qu’un conflit de loyautés ? C’est ce qui arrive quand nous essayons d’être loyaux envers plusieurs personnes différentes, qui ont des visions ou des intérêts divergents voire opposés. Le cas le plus fréquent est le conflit entre la loyauté que nous portons à nos parents, et plus largement à notre famille, et la loyauté que nous avons envers notre conjoint. Nous sommes alors tiraillés entre les deux camps, qui parfois s’affrontent, et nous culpabilisons d’avoir à choisir.
C’est ce qui arrive à Mary lors de son mariage avec Matthew. Alors qu’elle est éperdument amoureuse de ce dernier et qu’elle rêve de l’épouser depuis plusieurs années, elle décide de finalement annuler le mariage, la veille au soir, à cause de ce fameux conflit : sa famille est ruinée et Matthew a reçu un héritage qui pourrait sauver Downton, mais le jeune homme refuse de l’utiliser pour une question morale. Mary est partagée entre son amour pour Matthew et sa loyauté à sa famille, et se scandalise que son fiancé ne fasse pas passer les Crawley avant les scrupules de sa conscience.
Finalement, Mary se marie quand même avec Matthew (ouf !), mais l’idole familiale reste présente. Si le jeune homme aimerait vivre un peu à l’écart de Downton, et donc de la famille de Mary, pour elle, c’est hors de question. Quant aux problèmes financiers des Crawley, ils ne sont pas réglés, et Mary n’a de cesse de faire changer son mari d’avis. « Tu ne vois pas que tu fais souffrir mon père ? » est l’un des principaux arguments évoqués. Dur, dur, de quitter ses parents pour s’attacher pleinement à son époux…
Après un long dénouement, Matthew finira par céder, sauvant la famille et, probablement, la paix conjugale. Mais nous ne pouvons que constater que le problème de fond, lui, n’est pas réglé. Et Mary, tout au long de la série, sera souvent partagée entre son père et son mari, notamment sur la question de la gestion du domaine, chacun faisant valoir ses droits sur elle.
Morale de l’histoire ? Lorsque vous vous mariez, quittez vraiment vos parents et accordez toute votre loyauté à votre conjoint… C’est d’ailleurs ce que Sybil réussira à faire, allant jusqu’à s’enfuir de la maison familiale pour vivre libre avec celui qu’elle aime.
Daisy, ou la blessure d’amour
Daisy, l’aide-cuisinière de Mme Patmore, est un personnage plutôt honnête, qui a beaucoup de mal à mentir. Cependant, manquant de confiance en elle et étant très influençable, Daisy se retrouve facilement sous la coupe de personnes plus affirmées qu’elle, allant parfois jusqu’à renier ses convictions.
N’ayant jamais connu de véritable amour parental, la jeune fille est une véritable handicapée de l’amour, incapable d’aimer librement. Elle commence par avoir le béguin pour Thomas, qui a pris l’ascendant sur elle et l’utilise pour nuire à ses ennemis ; pendant ce temps, elle ne se rend pas compte que William, lui, l’aime vraiment, contrairement à Thomas. Plus tard, c’est d’Alfred qu’elle tombe amoureuse, alors que ce dernier n’a d’yeux que pour Ivy, et quand ensuite Andy s’intéresse à elle, elle fait tout pour le décourager.
En réalité, c’est très simple : quand quelqu’un l’aime vraiment, Daisy semble prendre peur et se détourner, refusant d’y croire et préférant s’éloigner que de courir le risque d’être blessée. A l’inverse, elle tombe amoureuse de personnes qui n’ont pas d’intérêt pour elle, ce qui ne peut que la blesser. Son manque de confiance en elle et son histoire font qu’il lui semble sans doute normal de ne pas être aimée en retour, ou en tout cas de ne pas être aimée autant qu’elle le devrait. Elle a en revanche beaucoup de mal à croire qu’on puisse l’aimer vraiment.
Mais cela la rend influençable et ce véritable piège la mènera à un mariage forcé. Souhaitant se rattraper auprès de William qu’elle a fait souffrir, elle l’embrasse, sans penser que pour lui ce geste aura une grande signification. Puis, le jeune homme partant à la guerre, elle continuera à lui donner l’impression qu’elle l’aime, sous la pression de Mme Patmore qui ne veut pas qu’elle brise le cœur de William alors qu’il est au front.
Ce mensonge se prolongera jusqu’à un mariage, in extremis, sur le lit de mort de ce dernier – toujours contre la volonté de Daisy, qui ne trouve cependant pas la force de rétablir la vérité et d’aller à l’encontre de Mme Patmore. Mais qu’est-ce que cet engagement, qui n’est pas basé sur la liberté, sinon un mariage nul et non avenu ? Il vaut mieux annuler la cérémonie une heure avant que de s’engager dans un tel mensonge, qui ne peut que nuire profondément aux deux fiancés. Et la conscience de Daisy, bien que ne résistant pas à l’influence de son entourage, est légitimement bien dérangée par ce mariage sous contrainte.
Robert et Cora, ou l’amour conjugal à assainir
Aucun couple n’est parfait, et personne ne devrait essayer de l’être, mais certains couples sont, davantage que d’autres, englués dans des relations toxiques. Le fait est que Robert et Cora s’aiment vraiment, et savent se le manifester. Mais, pour des tas de raisons, leur amour est entaché de mauvaises habitudes qui lui nuisent beaucoup.
La première « mauvaise habitude » est le secret. A de nombreuses reprises, l’un comme l’autre sont au courant d’informations importantes qu’ils choisissent de garder pour eux et de ne pas révéler à l’autre. Cela concerne majoritairement leurs filles, dont ils sont pourtant tous deux les parents ; pour ne citer qu’un exemple, Cora apprendra que la petite Marigold est l’enfant d’Edith, mais le cachera à son mari, qui est pourtant le grand-père du bébé. Et ce genre de situations arrive si souvent dans la série qu’on a juste envie de leur dire : COMMUNIQUEZ, tout ira mieux !
Le même souci de communication fait que lorsque l’un ou l’autre a des soucis, et notamment vis-à-vis de leur relation, il n’en dit rien à son conjoint, mais va souvent le dire à d’autres personnes extérieures au couple. Quand ces personnes sont sympathiques et du sexe opposé, cela peut vite glisser vers l’infidélité… Et bingo, c’est ce qui arrive à Robert, tandis que Cora ne sera pas loin de connaître la même histoire. Dire que tout cela aurait pu être évité s’ils avaient parlé ensemble de leurs difficultés, Robert expliquant à Cora qu’il se sentait délaissé par son activisme, et Cora exprimant à Robert sa tristesse face au manque de considération que son mari a pour ses opinions.
On en parle aussi, de la belle-mère autoritaire et envahissante (la comtesse douairière), des décisions prises dans le dos de l’autre et annoncées à tout le monde en plein repas, des désaccords où chacun des conjoints se trouve des alliés contre l’autre (notamment en ce qui concerne la question de l’héritage dans la première saison) ?
Et enfin, comme de la qualité des relations conjugales dépend la qualité des relations parents/enfants, on constate également des dysfonctionnements dans ce domaine. L’un des plus flagrants est la différence de traitement entre leurs filles, Edith principalement se trouvant défavorisée et considérée avec moins d’importance que Mary – ce qui ne manque pas d’expliquer les conflits permanents entre les deux sœurs. Les autres dysfonctionnements notoires sont l’ingérence de Cora et Robert dans les couples de leurs enfants, et leur désir limite obsessionnel de marier leurs filles, parfois en dépit du bon sens ou de la moindre considération pour leur bonheur.
Isobel, ou la sauveteuse en puissance
Isobel est une femme généreuse qui aspire à faire du bien autour d’elle et à se rendre utile. Seul hic, son dévouement sans faille est loin d’être désintéressé… Il s’allie à une recherche de postes de pouvoir où elle pourra montrer toute la mesure de son altruisme. C’est ainsi qu’elle cherche à devenir co-présidente de l’hôpital puis à obtenir la direction de la maison de convalescence qui se crée au château durant la guerre.
Selon le célèbre triangle de Karpman, Isobel est une sauveuse (nous utiliserons plutôt le terme de « sauveteuse » défini par le père Pascal Ide dans son livre Le Triangle maléfique). J’ai déjà brièvement parlé des sauveteurs dans l’article L’amour est le contraire de la possession ; c’est un comportement très répandu mais beaucoup moins visible et remarqué que celui de bourreau ou de victimaire. Les sauveteurs cherchent à s’attirer amour et reconnaissance via l’aide qu’ils apportent aux autres, une aide parfaitement intéressée donc, et qu’ils n’hésitent pas à imposer en passant outre la liberté d’autrui.
Isobel est un véritable prototype de sauveteuse, attachante par moments dans toute l’énergie déployée à faire du bien autour d’elle, mais le plus souvent très agaçante et étouffante pour son entourage. Ainsi, son désir de diriger le château pendant la guerre lui vaut de se brouiller avec Cora. La réaction de la sauveteuse est typique : pour que Cora lui laisse davantage de pouvoir, elle menace de se retirer, espérant qu’on la supplie à genoux de rester (ce qui lui apporterait la reconnaissance qu’elle recherche de toutes ses forces). Comme Cora ne réagit pas et accepte sa démission sans ciller, Isobel n’a plus d’autre choix que de partir. Elle décide alors de trouver un travail ailleurs, dans un lieu où elle pourra « être appréciée à sa juste valeur ».
Au fond, le sauveteur est quelqu’un de blessé, qui n’arrive pas à avoir des relations « normales » avec les autres, et cherche à prendre l’amour de son prochain car il est incapable de le recevoir. Même la plus grande des gratitudes à son égard ne suffira pas à étancher sa soif d’affection. C’est donc un éternel malheureux. Isobel semble cependant apprendre de ses erreurs au fur et à mesure de la série, pour se mettre davantage dans une attitude de service, et gagnant peu à peu le respect et l’amitié de son entourage.
Mary (encore elle) et Matthew, ou les relations conjugales toxiques
Avant qu’ils ne se marient ensemble, Mary et Matthew sont fiancés chacun de leur côté : Matthew s’apprête à épouser Lavinia, et Mary se fiance avec Sir Richard, en partie pour sauver sa réputation et le mariage d’Anna, et en partie parce qu’elle veut oublier Matthew.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ces deux couples, mais concentrons-nous sur l’essentiel : ce sont des relations toxiques, qui heureusement n’aboutiront pas, mais qui auront opéré en attendant leur travail de destruction (Lavinia mourant alors qu’elle vient de découvrir que Matthew aime toujours Mary, et Sir Richard quittant cette dernière après de nombreuses menaces et éclats de jalousie).
La relation entre Mary et Sir Richard n’est pas basée sur l’amour mutuel, ce qui est déjà un bon « red flag » en soit ; le socle même de leurs fiançailles est un chantage, puisque Mary accepte d’épouser Sir Richard en échange de ses services d’homme de presse influent, celui-ci menaçant fréquemment de la faire chanter si elle ne se marie pas avec lui…
La relation entre Matthew et Lavinia est beaucoup plus saine au départ, mais se dégrade progressivement. Matthew aime encore Mary tout en refusant de quitter Lavinia pour elle, par loyauté à sa fiancée. Ce qui semblerait être un sentiment louable et noble crée en réalité une prison de mensonges et de souffrances pour les trois personnes en question. On n’épouse pas quelqu’un par héroïsme !
Sur ces bases peu stables, la relation de Matthew et Lavinia ressemble davantage à un déni ou à une fuite de la réalité pour le jeune homme. Lavinia, elle, découvre peu à peu qu’elle n’est pas aimée autant qu’elle le pensait et préfère se retirer. C’est finalement elle qui fera preuve d’un véritable héroïsme, sa conscience et son amour propre lui interdisant d’épouser quelqu’un qui en aime une autre.
Ni Matthew ni Mary n’étaient libres dans leurs relations, ce qui est la marque d’une situation toxique. Il ne s’agit pas d’une liberté au sens où beaucoup l’entendent aujourd’hui (les couples « libres » où chacun va voir ailleurs ne sont pas des couples, mais des machines à blessures), mais de la liberté de ceux qui s’engagent et aiment avec tout leur être, sans contraintes extérieures ni jeux psychologiques aliénants. La liberté est d’ailleurs l’un des piliers du mariage, condition non négociable de sa validité.
Ce qui me fait penser qu’Edith a elle aussi été aux prises d’une relation toxique avec Sir Anthony. Désirant à tout prix se marier, elle étouffera les scrupules du vieil homme et l’obligera à l’épouser malgré ses réticences. Heureusement, Sir Anthony la quittera devant l’autel, refusant au dernier moment de s’engager. Si cela sera profondément douloureux pour Edith, ce sera également salvateur, car il n’est bon pour personne de s’emprisonner dans un mariage toxique où la liberté de chacun n’est pas respectée.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire…
…mais nous allons nous arrêter là 🙂 La force de Downton Abbey réside dans la profondeur psychologique de ses personnages qui, loin d’être caricaturaux, évoluent et sont dépeints avec finesse. Par conséquent, les quelques relations toxiques dont nous venons de parler sont loin d’être les seules, puisque, comme dans la vraie vie, chacun en côtoie de près ou de loin.
Nous aurions pu parler de Thomas et de Miss O’Brien, qui sont aussi toxiques pour les autres que pour eux-mêmes, ou de la relation de Mary et Edith, entre jalousie maladive et manipulation. N’oublions pas non plus la comtesse douairière ou sa fille Rosamund, qui entretiennent des rapports compliqués entre elles, et bien souvent avec leur entourage. Quant à la famille MacClare, dont Rose fait partie, elle est un cas à elle toute seule, avec une mère possessive et étouffante et un père qui se désengage de ses responsabilités.
Bref, cette liste étant loin d’être exhaustive, n’hésitez pas à me faire part d’autres relations toxiques que vous auriez repérées dans la série en commentaire de cet article ! Sur ce, je vous laisse, je crois que vous avez une série historique à (re)regarder 😉
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